Lettre de démission de S.B. Mgr. Archarouni à
l'Assemblée Nationale Arménienne
« Dès le premier jour où le Conseil
administratif national est entré en fonction,
il a eu à s'occuper de la vieille question des
exactions et avanies subies en province.
L'horrible tragédie d'Adana l'avait ravivée et
développée sous des formes multiples, tout
comme sous le régime despotique, dont la
chute, coïncidant avec la proclamation de la
Constitution, avait fait naître, dans les
provinces habitées par les Arméniens, de si
ardentes espérances de voir enfin reconnu ce
triple et inviolable droit de l'humanité, la
garantie de la vie, des biens, de l'honneur,
droit auquel est liée la liberté du travail et
du progrès.
Cette question avait déjà attiré l'attention
du Conseil précédent qui, à différentes
reprises, présenta au gouvernement impérial,
des takrirs pour lui exposer la situation et
solliciter spécialement la prise en
considération et le règlement de l'affaire des
terrains dont la confiscation avait privé la
population agricole de son unique moyen
d'existence.
A la suite des plaintes continuelles et des
appels désespérés arrivés des provinces, le
Conseil actuel a fait à son tour, auprès de la
Sublime Porte, plusieurs démarches
infructueuses, après quoi, conformément à
l'invitation de votre honorable assemblée, il
s'est empressé de présenter au gouvernement
impérial, en date du 14 février 1912, un
mémoire détaillé dans lequel il a exposé un à
un les crimes, vexations, usurpations,
conversions forcées - même à l'égard de
mineures - et enfin, les violences de toute
sorte, ainsi que les injustices officielles et
les abus dont est victime la population
arménienne, qui a été dans l'Empire, un des
éléments importants du progrès et de la
civilisation et même leur agent qui, en dépit
de cela est persécutée et martyrisée par des
éléments qui sont des agents de destruction
dans le pays dont ils menacent l'avenir, en
même temps qu'ils lèsent les intérêts suprêmes
de l'Etat.
Cette fois, les promesses du gouvernement
avaient un caractère plus positif. Il
s'agissait de l'envoi, sur les lieux, d'une
commission avec pleins pouvoirs d'enquêter et
de rendre justice, de l'affectation, à ce but,
des crédits nécessaires, ainsi que de
l'expédition de forces militaires pour
réprimer les agissements des criminels.
Mais aucune de ces promesses n'a pu se
réaliser, malgré nos démarches incessantes, et
bientôt la situation est devenue telle, que de
Van, Ahtamar, Bitlis, Mouche, Sghert, ont
commencé à arriver des dépêches annonçant de
nouveaux crimes et plus de 30
victimes arméniennes.
Nous sommes, soit personnellement, soit par
l'entremise d'une délégation, entrés, au sujet
de cet état de choses, en pourparlers avec
tous les ministres dont aucun n'a contesté la
justice de nos demandes.
Le grand vizir, qui, grâce à ses précédents
passages aux affaires, connaissait à fond les
choses de province, nous assura que, cette
fois, le gouvernement impérial était bien
décidé à introduire des réformes fondamentales
dans les villayets, et à arrêter et châtier
les scélérats qui sont, a dit Son Altesse, le
fléau du pays.
De son côté, le ministre de la guerre déclara
qu'ayant été mis au courant des faits par le
gouverneur militaire de Van, il avait transmis
les ordres nécessaires, en vue de l'adoption
de mesures militaires contre les coupables.
Nous sommes malheureusement forcés d'avouer
avec douleur que de Van, Bitlis, Sghert, ont
afflué des dépêches où l'on nous annonçait
qu'aucune mesure n'avait été appliquée, que
l'état des choses continuait à être le même,
et que la population vivait dans les transes
de la terreur.
Telle était la situation lorsqu'a paru un
communiqué officiel, essai de réfutation des
faits incriminés, basé sur les rapports de
gouverneurs-généraux de Van et de Bitlis.
A notre tour, nos avons réfuté ledit
communiqué par un takrir spécial où nous avons
eu soin de mentionner un à un les faits, ainsi
que les noms des victimes.
La négation des vérités les plus évidentes -
que les fonctionnaires provinciaux se plaisent
à altérer - est un des legs de l'ancien
régime.
Si elle peut parfois servir à voiler la plaie,
elle est propre surtout à l'envenimer...
Considérant que tous nos nationaux disséminés
dans toutes les parties du monde font entendre
des protestations; que l'émotion grandit, et
que la situation devient de plus en plus
délicate et grave,nous éprouvons comme un
remords de conscience à occuper plus longtemps
le trône patriarcal, alors qu'il ne nous est
plus possible de remplir le devoir le plus
essentiel de notre charge.
Nous venons en conséquence présenter notre
démission à votre honorable assemblée et, en
sa qualité de corps représentant des Arméniens
de Turquie, attirer sa sérieuse attention sur
la situation actuelle à la fois douloureuse et
menaçante.
En appelant l'aide de la Providence sur notre
nation martyre, et en priant le Tout-Puissant
d'accorder à votre assemblée la force et
l'énergie, de faciliter sa tâche lourde et
amère et de la rendre féconde, nous avons
l'honneur d'être, etc...
Arch. OHANNES ARCHAROUNI
Patriarche démissionnaire des
Arméniens de Turquie.
Source : extrait du livre :
‘LA
SITUATION DES ARMENIENS EN TURQUIE exposée par
des documents 1908-1912’
http://www.imprescriptible.fr/archives/france/index_10_fr.htm
|
|