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SIAMANTO (1878-1915)
Le chemin de l'Espoir
Traduction Louise Kiffer
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ET CEUX-LA,
les pionniers gigantesques de l’Espoir
marmoréen,
Leurs fronts saignant des
rochers des rebellions,
Mais dégageant de leurs yeux une épouvante
indicible,
Ayant pulvérisé sous leurs dents broyeuses des
couteaux incandescents,
Sur un carrefour de ruines, ce soir,
Face à face avec mon teint livide, m’ont dit :
« O toi qui avec tes doigts t’es creusé les
yeux
Dans ce moment de violences et de folles
chevauchées
Indifférent aux orages décisifs,
Tendant ainsi tes lèvres vers la Souffrance,
Et tes bras suppliants, avec lassitude, vers
le ciel,
De matin en matin et de soir en soir,
Immobile sur ceux qui se sont sacrifiés pour
nous,
Comme un frère, mais en vain,
Tu as donné tout le sang de tes regards
transformés en plaies…
Oh ! d’abord
tourne tes immenses pupilles creusées
Vers nos flambeaux d’adoration
Et ausculte-nous avec ta pensée.
Nous savons que tu es un rêveur et tu t’es
dégrisé des autres lieux,
Invité aux râles suppliants des agonisants
Et épouvanté par les torsions de leurs corps
détruits,
Tu répandras, avec le repos de tes chants
funèbres pour eux,
Les gestes apaisants de tes
mains…
Mais
la Souffrance en offrande, laisse-la en elle,
O toi blanc jeune homme voué aux sacrifices !
Il ne faut jamais troubler la paix de ceux qui
sont tombés,
Même si c’est avec les sources de sang de tes
regards.
Et toi, dorénavant, avec ta pensée
perpétuellement
Limitée aux gloires du destin,
Dans des blocs de marbre divin
Conformément à la folie de tes gestes, si tu
veux,
sculpte la Souffrance, pour les siècles.
Mais n’oublie pas ses yeux, et sa bouche, et
son âme, voluptueusement,
De dresser ses seins pour une action violente…
Et ensuite, et surtout pour être CELUI qu’il
faut être finalement,
Dans ces jours de lutte et de surprise,
Par tout le pays, dans ton ombre, avec ton
âme, seul,
Marche, toi, d’horizon en horizon,
Dans les bourgs et la campagne, et les champs
à perte de vue,
Vers les villes et les villages, et les
pressoirs lointains,
Et retourne encore sur tes pas, sans te
lasser,
Et avec rage, hume la Mort.
Tu sais qu’il faut s’enfuir loin d’elle,
Pour ouvrir les grands chemins de l’Espoir,
Afin que, finalement, les chevaux tempétueux
du rêve,
Se conduisant héroïquement aux mains de notre
volonté,
Se statufient aux sommets de la victoire.
Et si tu peux une seconde, dans la pénombre,
Te retourner infiniment,
Et voir surgir brusquement de la terre les
morts
Qui, du fond des tombes et des villes
ravagées,
Tout d’un coup entourés des esprits délivrés,
Derrière nous, ce soir, debout, fiévreusement,
Vont marcher vers les étendues de l’Espoir.
Et regarde l’ardeur de leur foi, et prends
courage !
Vois leurs lourdes pierres et leurs noires
croix de bois
Sur leurs épaules lasses de la terre,
Vois leurs linceuls rouges de leurs sangs
mêlés
Déployés aux vents des ténèbres,
Et vois, vois-les tous l’un devant l’autre,
On dirait qu’ils se prosternent, vois !
Ils font les serments de mourir encore une
fois
Les uns pour les autres…
Ils sont tous là-bas, aujourd’hui, avec nous,
Ceux qui sont aveugles et ceux qui sont
invalides,
Et ceux qui ont tendu leur cou étourdiment
Pour l’âme l’un de l’autre, vers le crime.
Et aussi ceux qui ont été nos maîtres dans la
révolte,
Dont les paroles sont les nôtres, ce soir,
Et dont l’âme est notre adoration pour
l’éternité.
Et il y a encore la foule de ceux dont
heureusement
Tu ne t’es pas heurté à l’épouvante.
Nous seuls savons combien leurs corps sont
fougueux
Et combien terrorisés leurs yeux et leurs
mouvements…
Et ce sang de la décapitation de leurs frères
Qu’ils ont bu avec leur esprit,
Oh dans leur crâne a ouvert les battements
d’ailes
Illimités des aigles enivrés par la soif des
victoires…
Et il y a encore les mères enceintes et
échevelées
Qui, là-haut, dans les tentes du champ,
Sous leur flanc fécond et large et lumineux,
Pour glorifier de nouveau nos lendemains
Vivent les rouges douleurs de l’enfantement
Des Héros fougueux.
Mais maintenant que le matin s’est approché,
resplendissant,
Et que tu as reconnu nos âmes
O frère qui agonises en rêvant,
Viens, afin que nos lèvres reçoivent tes
lèvres
Pour une seconde et pour l’éternité …
Et avant qu’elle n’ait rougi de la souillure
du sang de l’offrande,
Prends en main courageusement cette épée
étincelante,
Et croise-la avec nos épées à tous, sous la
pureté de ces étoiles,
Après avoir fait le serment des serments,
Et pour une fois au moins, te précipitant hors
de toi-même,
Si tu peux, marche avec nous. Voici le
chemin ! »
SIAMANTO (1878-1915)
Traduction
Louise Kiffer
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