ZAHRAD ( 1924-2007)
Poète arménien d'Istanbul

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Article de Khatchig Mouradian – traduction Louise Kiffer
Source: AWOL (Armenian Weekly On-Line), Volume 73, Number 8, February 24, 2007

zahradCe fut d'abord et surtout une perte pour la poésie que le décès de Zahrad le 21 février 2007.

Zahrad (Zareh Yaldizciyan) était né à Istanbul en 1924. Son père Movsés, était juriste, conseiller et traducteur au Ministère de l'Empire Ottoman Sa mère, Ankine Vartanian était née à Samatia.

Zahrad fit des études de niveau moyen puis secondaire à l'école des Mekhitariste de Pangalti à Istanbul et fut diplômé en 1942. Il suivit des cours dans un institut médical, avant d'interrompre ses études universitaires pour travailler. Il épousa Anayis Antreassian en novembre 1963.

De Zareh à Zahrad

« J'avais 18 ans quand j'ai commencé à écrire », dit Zahrad à la journaliste Talin Suciyan dans la dernière interview qu'il donna avant sa mort (Nokta, janvier 25-31, 2007) « Si j'avais signé mon nom sous mes articles aux journaux, ma famille m'aurait harcelé à mort, en disant: "Tu traites de trucs si dénués de sens". Pour échapper à ces propos, j'ai créé le nom: Zahrad. Le temps a passé, mon vrai nom a été oublié, et "Zahrad est devenu connu" ».

Son premier livre, "Medz Kaghak" (Grande Ville) a été publié en 1960 à Istanbul. Puis ont suivi : "Kounavor Sahmannér" (Des Frontières colorées), Istanbul 1968; "Ganantch Hogh" (Terre verte) Paris, 1976 ; "Pari Yerguink",(Bon Ciel) Istanbul, 1971; "Meg Karov Yérgou Karoun" (D'une pierre deux printemps) Istanbul, 1989; "Magh me tchour" (Un tamis d'eau) Istanbul 1995; "Dzaïre dzaïrin (Bout à bout) , 2001 Istanbul; et "Tchoure Badén Vér" (L'eau par-dessus le mur), Istanbul 2004.

Ses poèmes sont traduits en 22 langues. Des recueils de ses poèmes ont été publiés en anglais (Gigo Poems by Zahrad" 1969, traduits par Hagop Hacikyan; "Zahrad Selected Poems" 1974, traduits par Ralph Setian) ; en turc ("Zahrad : Yag Damlasi" publié par Iyi Seyler 1993, réédité en 2000); "Yapracigi gören balik (publié par les Ed. Belge, 2002) "Isigini Sondurme Sakin" publié par Adam, 2004. En géorgien (1997), et en un certain nombre d'autres langues.

Un énorme chêne.

« Je préfère l'individualité en poésie. Cependant, cela n'a pas de sens d'aller contre le goût de l'époque. Mes dix quinze premiers poèmes étaient écrits dans un style classique, dans lequel j'étais passé maître. Plus tard, j'ai arrêté d'écrire dans ce style, non pas parce que je n'avais pas de succès, mais pour suivre la mode de l'époque. Je ne parle pas de la mode de la mini-jupe, des cheveux longs, de la raie au milieu ou sur le côté, je parle du point de vue esthétique » a-t-il dit à Talin Suciyan au cours de l'interview pour Nokta.

D'après Lévon Ananian, président de l'Union des Ecrivains arméniens, Zahrad était un "énorme chêne" de la poésie de la Diaspora, et son héritage littéraire a produit un effet profond et durable sur la poésie arménienne contemporaine, à la fois dans la Diaspora et en Arménie.

"Zahrad crée un monde où même les ombres les plus sombres sont illuminées de compassion et d'humour, bien qu'exprimées à distance par un observateur et agissent comme une protection pour une âme très sensible", dit Tatul Sonentz, dont les traductions de Zahrad figurent ci-dessous.

« Laissez-moi vous devoir un tamis d'eau » dit Zahrad dans l'un de ses poèmes. Or, nous lui devons une rivière d'eau fraîche et joyeuse, car c'est ce qu'il était pour son étang de douce et mélancolique poésie arménienne.

CHOIX DE POÈMES DE ZAHRAD

Traduits en anglais par Tatul Sonentz
Puis en français par Louise Kiffer

P L U I E

Vous ne pouvez pas prendre le métro
Pauvres gouttes de pluie.
Vous ne pouvez pas entrer dans la maison d'un profiteur de guerre
Le toit d'un hôtel particulier ne fuit pas.

Moi et mes semblables nous vous aimons
Vous apportez l'abondance
Au prix des miettes de pain

Mais j'ai sommeil
Au moins ne tombez pas sur mon oreiller.

* * *

LA GRANDE VILLE

Tout est grand dans la grande ville
Le plaisir est grand
Le chagrin est grand
Comme les avenues et les immeubles

Et ceux qui sont de petites gens
Ne se sentiront jamais chez eux dans la grande ville

* * *

NE PLEURE PAS LUMIERE NE PLEURE PAS

Ne pleure pas lumière ne pleure pas
Ce qui tombe du ciel ne pleure pas

Ne pleure pas car tu es tombée dans une pauvre maison
On te donnera une place d'honneur
Ne pleure pas lumière ne pleure pas
Que les lumières qui ne sont pas tombées dans des taudis pleurent.

* * *

CHAIR HUMAINE

A Sarkis Poghosian

Quant on a construit des immeubles des deux côtés
La rue est née.

Les immeubles étaient grands, si splendides, que lorsqu'on l'a questionnée
Elle a dit: Je ne suis pas une rue – je suis une avenue

Et tous les jours, des personnalités en véhicules à moteur passaient
Et la cognaient par leur splendeur

Le rue portait ce riche courant, ces ornements luxuriants
Sur sa peau – comme des gemmes

Il semblait que tout, rapide et brillant, fût comme une fête.
Elle connut l'opulence.

Elles allaient et venaient – et leurs traces toujours s'effaçaient.
Une chose qu'elle n'oublia jamais

C'est qu'un jour un homme passa pieds nus en hésitant
Ce jour-là, l'avenue connut la chair humaine.

* * *

ÉTRANGER

Pour Kiko, ces secteurs de la ville étaient étrangers
De grand grands immeubles étrangers
Les gens – de belles femmes étrangères

Une fille en robe passa
Elle lui mit cinq petites pièces dans la main –
C'étaient des gens étrangers – des étrangers –
Kiko n'était pas venu mendier.

* * *

AHMET EFENDI STREET

Kiko a peur de passer dans Ahmet Efendi Street
Ahmet Efendi Street est sombre
Il y a des couples qui s'embrassent dans l'obscurité

Kiko a peur de passer dans Ahmet Efendi Street
Sa solitude lui envahit l'esprit.

* * *

MARDI GRAS

Des clowns tombent du ciel
Des clowns tombent des arbres
De grands grands immeubles
Des jours d'enfance de Kiko
Des clowns sautent du trottoir

Clown clown
Tous ensemble les clowns applaudissent Kiko –
Des rapiéçages de toutes les couleurs
Deux doigts de barbe
Ils ont pris Kiko pour un clown

* * *

UN TAMIS D' EAU

Laissez-moi vous devoir un tamis d'eau
– Que ce soit un jeu
Sabre
Epée
Flammes
Sont couverts
De mousse en silence

Dans le vent tiède et humide du sud
Que tous les navires vedettes
Abordent au port
– et que la mer nacrée
ne soit pas agitée
lorsque avec mes désillusions et un tamis d'eau
Je courrai de rivage en rivage
Laissez-moi vous devoir un tamis d'eau.

* * *

À PROPOS DU SOL

Il adorait le sol
Kiko était comme une étoile tombée du ciel
Il aimait s'allonger et se blottir contre le sol
Il voulait le serrer dans ses bras – serrer cette merveille
A sa mort – c'était son souhait

Mais – je ne sais pas pourquoi – les étoiles pleurent
Le pont pleure
– Dans la vie Kiko n'avait pas d'autre ami intime –

* * *

STRIP TEASE

Kiko a reçu des lunettes
Partout où il va, il voit du bleu
Le bleu du ciel – le bleu des mers
Le bleu des yeux de la fille qu'il aime
Partout où il va, il voit du bleu.

Il regarde autour de lui avec ses lunettes sur le nez –
On dirait que les mers sont toujours bleues
On dirait que les cieux sont déjà bleus
Il ne le croit pas – J'ai seulement vu qu'il le disait –
Il regarde autour de lui avec ses lunettes sur le nez

Kiko a reçu des lunettes
MAINTENANT il voit le bleu qui est bleu

* * *

AVENTURE

L'esprit de Kiko erre de ville en ville
– Kiko songe au monde –

L'esprit de Kiko vole de planète en planète
– Kiko songe au système solaire –

L'esprit de Kiko plane d'étoile en étoile
– Kiko imagine un univers

Plus rapide que la lumière
– L'esprit de Kiko veut la dépasser

– Il s'égare – il ne peut pas

Fini le voyage gratuit

* * *
(source: armenianweeklyonline – 24 février 2007)